Je dois à feu Robert Hersant ma première humiliation politique...

Publié le par Michel Debray


SOUVENIRS...
 

 

 

 



Contrairement à Céline, Robert Hersant ne s'est pas contenté de faire dans l'antisémitisme de plume. Membre puis chef de Jeune Front, organisation fasciste pendant l'occupation, Hersant s'en prend physiquement à une vendeuse juive d'un magasin des Champs-Élysées et se lance dans des escroqueries ayant pour victimes des commerçants israélites et ce, peu avant le vote du statut des juifs des 3 & 4 octobre 1940.


En mars 1941, il est, à 22 ans, chef du chantier de jeunesse de Brévannes en Seine-et-Oise. C'est là qu'il rencontre la plupart de ses futurs collaborateurs. L'épisode de Brévannes tourne court en raison de malversations sur les titres d'alimentation. Après des années d'expédients, Hersant est condamné à 10 ans d'indignité nationale le 3 décembre 1947 pour collaboration active. Les affaires traitées par Hersant sont entre les mains de ses amis qui lui servent de prête-nom. Cela lui permet de lancer l'Auto-Journal le 15 janvier 1950. En dépit de l'affaire d'espionnage industriel, assorti de corruption active, qui l'oppose à Citroën, Hersant est sauvé par les banques. C'est à cette époque qu'il décide - selon ses propres dires - de faire de la politique pour protéger ses affaires. Pour cela, il a besoin d'un siège de député situé dans un fief assez proche de Paris, doté d'élus et d'une presse prêts à se vendre au plus offrant, et d'un électorat bon enfant qui, dix ans après la Libération, aspire au bonheur matériel dont la réclame vante déjà les délices. Amnistié par Antoine Pinay, Hersant a choisi sa proie: ce sera le département de l'Oise.

 

En 1952, Me Durosoy, notaire à Lieuvillers, (plus tard suspendu de ses fonctions pour faux en écritures publiques) signale au nouveau venu qu'il existe à Ravenel un maire empêtré dans des difficultés financières et prêt à céder son affaire et sa mairie. Le terreau local est du type communiste mou et le village de 800 habitants n'a pas encore l'eau courante. Pierre Pillon, maire de Ravenel, doit, contre le rachat de 30·millions de francs de l’époque de dettes, céder son mandat et sa maison. Comme il refuse de lâcher, outre son honneur, sa chambre à coucher, Hersant loue une partie du Château à Edmond Ratisbonne.

 

J'ai connu tout cela. En 1955, j'avais 10 ans. J'allais à l'école avec le fils du maire. Un des hommes de main de Citizen H, un certain Rocourt ou Drocourt, le présente à mon père, facteur-receveur des PTT, comme un philanthrope. Il est vrai que le bel homme roulant en voiture américaine (Kaiser Manhattan bleu métallisé) dans les rues boueuses de Ravenel a de quoi éblouir. Les femmes raffolent de lui. Tout le monde peut profiter de la manne car Hersant arrose à tout-va. On vend son âme pour un briquet, un coup de gnôle ou le rachat de ses dettes. Les vieux sont couverts de cadeaux, les footballeurs se voient équipés de pied en cap.

Après la démission de 6 conseillers municipaux, Hersant devient maire de Ravenel. Son portrait en couleurs trône dans la plupart des foyers. Pas au logement de fonction de la poste, où mon père, sympathisant communiste accueille aussi bien l'abbé Parizot, catéchumène alcoolique passionné par les beautés télévisuelles de l'époque, que les deux religieuses de la Providence qui viennent voir la Piste aux Étoiles de Gilles Margaritis, sur notre téléviseur, l'un des 5 premiers de Ravenel. Cela explique ma culture catho-visuelle assez développée...

Évidemment tout le monde ignore le passé de l'homme de l'Auto-Journal. Pillon cède sa grande maison en 1957 : il s'agit du chalet dite encore maison de la vierge, à cause d'une grande statue en fonte peinte de la madone de Lourdes. Entre temps, Hersant a acheté la Semaine de l'Oise pour en faire l'Oise Matin. Face à l'opposition de l'Union de Reims, il rachète la Dépêche de l'Aisne et en fait l'Aisne Matin, concurrent de l'Union dans l'Aisne et l'est de l'Oise. L'Union est contrainte à un accord. L'Oise Matin sera ainsi, jusqu'à l'entrée en scène d'Amaury entre 1960 et 1965, le seul organe de presse à l'est de Beauvais. Les élections cantonales de 1956 font de Robert Hersant le conseiller général de Saint-Just-en-Chaussée. La formidable propagande réalisée à Ravenel est amplifiée car les législatives sont dans la foulée. Le canton devient un lieu de spectacle permanent clubs Robert Hersant dans tous les patelins, classes de neige, classes de mer sur la Côte d'Azur, visites de l'Oise Matin pendant les heures scolaires, colis pour les vieux, venues à Ravenel et à Saint-Just des vedettes de l'époque : Jean Nohain, Luis Mariano et Martine Carol. Le philanthrope ne connaît qu'une opposition molle ou sans moyen. De toute façon, n'est-il pas "radical­-socialiste" ? A Ravenel on s'active pour accueillir des visiteurs toujours plus nombreux et célèbres.

 

Un soir, après la fermeture du bureau, mon père reçoit la visite de Rocourt qui vient déposer plusieurs paquets de lettres à distribuer sur Ravenel même. Rocourt est un grand rouquin assez porcin, genre Gerte Froebe, un côté Papa Schultz, mais doté d'une voix charmeuse. A cette époque d'effervescence hersantienne, mon père doit trier à même le sol du bureau car la malheureuse table de tri déborde. Le trafic de la petite recette est triplé. Le standard téléphonique manuel n'en peut mais. Cela représente des frais, ridicules eu égard à la fortune du futur papivore, mais intéressants au niveau des statistiques postales. Dans la salle d'attente j'assiste à la discussion entre Rocourt et mon père. Rocourt lui propose d'empocher le montant de l'affranchissement et de distribuer le lendemain, sans timbres. Mon père hausse le ton et réplique qu'il s'agit là d'une tentative de corruption de fonctionnaire. Le courrier dûment affranchi sera distribué le lendemain.

 

Hersant est élu député de l'Oise en avril 1955. Il est appuyé par le parti radical de Mendès France et le parti radical de l'Oise. Il s'apparente aux socialistes et à l'UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance, parti animé par François Mitterrand et René Pleven !). Le principal opposant à Hersant est Jean Legendre, député sortant "indépendant" de la circonscription de Compiègne. Hersant essaie, vainement, d'acheter Legendre. Puis il cherche à l'intimider, physiquement. Le 18 avril 1956, Legendre monte à la tribune de l'Assemblée nationale et déballe tout le passé de son adversaire. Les amis d'Hersant quittent la salle. Hersant est invalidé par 125 voix contre 11 dont celle de François Mitterrand. Il y aura renvoi d'ascenseur trois ans plus tard à t'occasion de l'affaire de l'Observatoire. Cela explique la raison pour laquelle le Président "socialiste" s'est gardé de démanteler l'empire Hersant en faisant tout simplement appliquer les Ordonnances de 1944 destinées à empêcher les concentrations de titres de presse. Cela explique encore le silence et la mansuétude de la Soc-presse à l'égard des turpitudes mitterrandiennes.

 

Hersant se représente devant les électeurs et est réélu triomphalement le 17 juin 1956. L'aval de Mendès lui a été ôté mais il a gagné celui d'Edgar Faure.

Hersant a peu siégé à la Chambre. Il a peu voté. Il s'est installé dans le département de l'Oise. Avec l'arrivée au pouvoir de De Gaulle, il se réconcilie avec Jean Legendre. Dassault, autre corrupteur, aura Beauvais-nord circonscription taillée sur mesure puisqu'elle englobe Ressons-sur-Matz situé au nord de Compiègne, ce qui, pour qui connaît la géographie oisienne, est assez croquignolet; François Bénard aura Beauvais-sud ; Hersant Clermont-Crépy et Legendre gardera son fief de Compiègne dont il est maire. Hersant passe à la FGDS en mars 1967. Il abandonne Ravenel après ces élections et jette son dévolu sur Liancourt. Ravenel est laissé entre les mains d'un cultivateur parvenu grâce à la Collaboration. Julien Delormel, maire d'une commune enfin pourvue d'eau courante, va devoir gérer le retour sur terre : la manne a disparu et Ravenel va devoir vivre de ses propres ressources. Les Ravenellois connaîtront le dépit amoureux et en Picards bon teint s'en tiendront au fameux : N'en parlons jamais mais pensons-y toujours.

 

Je dois dire que je pris souvent un malin plaisir à ressusciter le passé hersantien pendant les 12 années de ma seconde vie ravenelloise. Je sais que cela gênait certains.

 

En 1973, Hersant n'est plus à gauche (il faudrait une typographie particulière pour exprimer un tel paradoxe, puisqu'il n'a jamais évidemment été DE gauche !). Il n'a plus de mandats locaux mais il est député et jouit donc ainsi de l'immunité parlementaire. En 55 ou 56, l'Arbre de Noël Robert Hersant a lieu au café De Cock dont la cour pleine de charbon jouxtait notre jardin. Jusqu'à présent, mon père avait toujours refusé de participer à ces mascarades et nous nous étions contentés, mes sœurs et moi, des possibilités maigres du budget familial. Ma mère argue qu'il est injuste de nous priver pour des raisons politiques. Mon père réfute. En fin de compte, ma mère m'ordonne d'aller chercher les jouets qui' nous reviennent. Je refuse et lui dis d'y aller elle­-même. Ma mère m'envoyait à la messe, à sa place, comme par procuration. Et, pendant qu'elle faisait la grasse matinée, je me les gelais sous ma soutane et mon surplis, car, j'étais, bien sûr, enfant de chœur. Il était difficile de résister à la mauvaise foi de ma mère.

J'arrive donc dans la salle surchauffée, au sein d'une foule bouillonnante, de hurlements d'enfants surexcités. Mes sœurs m'accompagnent. Je déteste la foule. La valetaille d'Hersant distribue les cadeaux. Les conseillers municipaux, le personnel enseignant (hélas !), les employés communaux, tout le monde est aux ordres. Les jouets sont évidemment somptueux. Et les Ravenellois, pauvres gens, ne roulent pas sur l'or. Le maître de cérémonie est là, avec son physique de play-boy et son costard nickel. Une sorte de parrain vaguement souriant. Il y a sa meuf, menue, superbe, qui renvoie dans les poubelles de la vulgarité les plus belles filles du lieu, et Dieu sait qu'il y en avait de magnifiques, formidables Groseilles, qui parlaient un picard à couper au louchet. Oui, il y a là Mme Hersant que son époux traite en privé comme une sous-merde. Tout cela est flou car ce qui domine au moment où l'on prononce notre nom, c'est la vergogne de voir les regards se tourner vers nous et constater que nous avons failli à notre farouche opposition. D'une certaine façon, nous étions, dans notre isolement - il n'y avait pas dix familles d'opposants à Ravenel ! - la conscience révoltée de la communauté. Je suis un enfant intelligent et sensible. Le revolver à la crosse de nacre avec ceinturon de cuir rouge de Kit Carson est une merveille. Les poupées de mes sœurs sont sans doute magnifiques. D'ici quelques jours, je serai dans le Far­-West du Petit Bois et j'aurai ravalé ma honte.


Bizarrement cependant, quarante ans plus tard, elle est toujours présente. Robert Hersant est mort. La mort d'un homme, fût-il une ordure, ne m'a jamais réjoui. Cette mort ne m'émeut guère. Hersant méprisait la plupart des gens. Il n'a jamais rencontré d'obstacle suffisamment puissant pour barrer la route de ses ambitions. Son empire s'est nourri de la bassesse, de la faiblesse et de l'hypocrisie de ses contemporains. Cet empire est condamné. Les hommes de gauche doivent apprendre le journalisme d'investigation. Il n'y a pas de honte
à faire un beau journal populaire intelligent et sans compromission. Il n'y a pas non plus d'exemple.
Le concept reste
à inventer ...


M.D.

 


Publié dans Treus du tchul

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C
<br /> Et bien vous avez raison cette véridique histoire prouve que monsieur Hersant avait bien du succès auprès de ces dames!<br /> <br /> http://www.ipernity.com/blog/122504/304610<br /> <br /> <br />
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M
J'aime beaucoup cette Histoire...<br /> Bisous.
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